Derrière la jolie façade

Derrière la jolie façade est un livre de Léa Beryl paru en 2016.

Résumé

La maison de retraite… ce lieu qui fait peur et qui reste un sujet tabou pour nombre de familles. Ce livre nous immerge dans la vie d’un EHPAD, censé apporter soins et bien-être aux personnes âgées. Derrière la jolie façade de l’institution s’expriment la détresse et l’impuissance des résidents qui n’acceptent pas leur « placement » et, parfois aussi, leur envie de vivre malgré tout. Le récit témoigne de la perte de repères et de l’enfermement des patients atteints de troubles dégénératifs. Il décrit les conditions de travail difficiles du personnel, l’engagement professionnel de certains et le manque de motivation d’autres. La direction de l’établissement, quant à elle, règne, implacable, sur cette vie communautaire, veillant au fonctionnement et à la rentabilité de la structure.

La narratrice s’est intéressée au monde de la gérontologie et à la vie en institution dans laquelle elle a travaillé auprès des résidents.

***

Avis de lecture

Ce livre d’une centaine de pages propose une immersion dans l’univers des Ehpad. Dans une langue soignée, à la fois accessible et méticuleuse, non dénuée de sensibilité, la narratrice et auteure, Léa, nous raconte sa vie professionnelle entre ces murs, le pourquoi de ce choix de carrière, le comment du pourquoi cela s’est terminé. Elle nous raconte aussi, dans une toile de fond très présente, la vie qui se déroule derrière ces murs, dans cette résidence à l’air charmant, derrière la jolie façade

Dans mes cours de gérontologie, il y avait un chapitre consacré au placement en institution, qui insistait sur le consentement obligatoire de la personne pour l’entrée en EHPAD, sauf que dans la vraie vie, ça n’est pas ça du tout. Très rares sont les résidents qui ont choisi de vivre ici, la plupart du temps ils y sont contraints par leurs proches et souvent la famille n’a pas d’autre solution, en raison des incapacités physiques et/ou mentales de leur parent. Dans la grande majorité des cas, la personne entre en institution par obligation et non par choix.

Dans ce récit, le lecteur est amené à parcourir chaque étage de l’Ehpad où Léa travaille ; depuis le premier, secteur protégé réservé aux résidents atteints de graves troubles cognitifs, au second, puis au troisième et au quatrième où vivent les « plus valides ». Pour chaque étage, Léa nous offre un court portrait de chacun des résidents qu’elle côtoie. Au travers de son regard empreint de tendresse et de clairvoyance, la narratrice nous dépeint d’abord en quelques mots les traits du résident, son apparence, son attitude – la première impression que chacun fait au premier regard –, et ce qu’ils peuvent révéler de lui ou d’elle. Le portrait se poursuit avec des informations plus personnelles, relatives à son passé et son vécu : d’où le résident vient, ce qui l’a amené(e) ici, la vie qu’il a eue avant, marquée par exemple par une perte tragique ou bien des voyages ou un métier passionnant, les membres de la famille qui viennent le/la voir ou pas, de quoi il ou elle souffre, et surtout comment le résident ressent sa vie en ces lieux, quelles sont ses éventuelles habitudes, les anecdotes l’entourant, son histoire ici… Léa nous dévoile aussi tantôt ce pourquoi elle est attachée à tel ou tel patient, les gestes de bonté et de gratitude qu’ils ont pu avoir envers elle et en quoi elle en a été touchée.

Lorsque je m’absente quelques jours, je trouve toujours sur mon bureau une lettre où il {Monsieur Sanfilippo} m’exprime son affection, comme ce petit mot écrit d’une main tremblante et mal assurée : « Quand le week-end, je vais chez le kinésithérapeute et que je vois ce beau salon d’animation plongé dans le noir et vide, je me sens mal, blessé et triste et je me dis qu’il faut que j’attende lundi matin 11h30 pour entendre votre belle voix et mon sourire revient et tout à coup je me sens bien (…) »

Si le mal dont souffrent les patients de l’Ehpad est à de multiples reprises évoqué, il reste, de mon ressenti, dit de façon délicate, comme doucement survolé. Ce n’est pas, je crois, le propos voulu de ce livre à l’origine. À travers les mots de Léa qui semble s’efforcer de ne pas donner une vision trop noire de ces lieux, l’on ressent toutefois une grande compassion envers les résidents. Selon le niveau de conscience et/ou le déclin cognitif des patients, cet enfermement paraît être pour certains un véritable enfer. L’auteure n’hésite pas, par petites touches glissées çà et là, à nous laisser pressentir les défaillances de ce système.

On fait souvent appel à des intérimaires. Les résidents sont très perturbés par ces changements incessants de personnes, qui sont appelées à s’occuper d’eux, dans les actes les plus intimes de leur vie quotidienne.

Il y a quelque chose à la fois de l’ordre du journal intime et du documentaire lorsque Léa nous invite à découvrir un à un les résidents, ceux et celles qu’elle apprécie et qui le lui rendent bien. C’est ce pourquoi j’ai choisi de lire ce livre ; je voulais y découvrir le ressenti profond de ceux qui y vivent, apercevoir l’envers du décor et l’entendre – peut-être – de la bouche des résidents… Léa Beryl ne nous épargne pas certaines histoires sombres, au travers desquelles l’on peut subodorer toute la détresse humaine que renferment ces lieux.

Et puis il y a ceux qui ont été et ne sont plus comme Monsieur Agnelli, ce grand monsieur d’origine italienne, très sensible et très dépressif. Lui qui avait réussi à s’échapper de la résidence, provoquant un grand émoi au sein du personnel et contraignant la Direction à la mise en place d’un plan d’urgence. Lui qui avait déjoué la vigilance de tous et réussi à franchir toutes les portes à accès sécurisé pour, l’espace de quelques heures, se retrouver à l’air libre et tenter de rejoindre sa compagne. Il avait vite été rattrapé et à nouveau « emprisonné » dans ce secteur protégé qu’il détestait tant, avec ces résidents qui l’exaspéraient. Ses seuls moments de répit, c’était lorsqu’il dormait. Son traitement médicamenteux en avait fait un zombie, lui qui était à son entrée un homme vigoureux et à la poigne de main ferme, était devenu apathique et n’avait même plus la force de lancer une balle à un mètre devant lui. Lui qui pleurait à chaque fois qu’on évoquait son Italie natale, lui qui ne vivait plus que dans le désespoir, lui qui est mort de manière brutale et probablement dans un dernier soupir de soulagement.

Or, je me suis légèrement trompée si je pensais y trouver exactement ce que je décris plus haut, parce que, d’une part, c’est essentiellement de la voix de la narratrice – certes dotée d’une profonde empathie – que j’ai pu entendre la souffrance des résidents. Et, d’autre part, ce n’est pas seulement de cela dont il est question dans le livre. En effet, Léa Beryl nous parle aussi de sa vie à elle en tant que professionnelle qui intervient dans les Ehpad. Si j’avais pu imaginer à quel point cela devait être éprouvant, ne serait-ce que le fait de devoir faire face à l’innommable désespoir de tous ces résidents tout le long de la journée, je n’aurais pas pensé que dans le cadre d’un travail demandant tant d’humanité, Léa ait pu autant être maltraitée (je choisis d’employer ce mot) par sa hiérarchie.

Je ne dévoilerai pas plus en détail l’intrigue de cette vie professionnelle singulière, à la fois riche par ce que les résidents apportent à Léa, et par ce qu’elle leur donne ; et pauvre, à cause de la non-reconnaissance, de l’épuisement, mais aussi des bassesses et du manque d’investissement de ceux pour et avec qui elle travaille. L’on peut remonter haut dans la pyramide pour chercher la source profonde du mal, et y inclure non seulement la « Directrice » mais aussi le « Groupe », car il s’agit d’une structure, une structure à vocation humanitaire, et qui, comme tout ce qui fleurit en ce bas-monde, s’avère – à ce qu’il semble – avoir d’autres intérêts autrement plus importants…

Et c’est là où ce livre renferme un témoignage précieux, que je n’avais, avant d’en avoir lu les pages, pas pu entrevoir (tandis que j’acquérais cet ouvrage dans le seul but originel de connaître le ressenti des résidents) ; il nous permet d’appréhender aussi l’envers du décor professionnel. Et c’est alors qu’on remarque inévitablement que, de la maltraitance des résidents à la maltraitance du personnel – et/ou vice versa –, les choses semblent suivre une certaine – et inexorable – logique.

Mais la vie continue, j’ai reçu il a quelque temps un courrier du Groupe où il est dit qu’une remise de 10 % sur le tarif hébergement serait accordée à tout membre de la famille d’un salarié et qu’une prime de 300 euros brut serait versée à tout salarié qui ferait entrer un pensionnaire en séjour permanent dans une résidence du Groupe…

***

Réflexions suite à cette lecture

De nombreuses interrogations peuvent éclore après la lecture de ce livre. J’en partagerais deux avec vous, lesquelles concernent le placement en Ehpad des résidents et leur vie là-bas.

  • Pour beaucoup, les résidents sont des personnes qui, dans leur jeunesse, ont dû fuir leur pays natal, souvent à cause de la guerre. Nul doute que ce déracinement constitue un traumatisme, même si la vie a peu à peu repris son cours, comme l’air de rien. Je m’interroge sur la revivification de ce trauma, lors de ce qui m’apparaît comme un nouveau déracinement : quitter définitivement son chez-soi pour l’Ehpad, lieu collectif, encadré par des visages inconnus et changeants, à cet âge avancé où au contraire, l’être humain aurait a fortiori besoin de calme et de sérénité, d’un repli bienvenu sur soi et sur son existence passée, avec seulement de temps à autre les personnes aimées auprès de lui…
    ~
  • « Quel est ce monde qui fabrique des fins de vie comme ça ? » est une phrase qui provient de mon livre Le rire de Mamie jolie, lequel aborde aussi, d’une façon différente, la mise en Ehpad de nos aïeux. Cette question persiste après la lecture de Derrière la jolie façade ; je m’interroge profondément sur la source de ces maux de l’âge avancé, à l’heure où pourtant, la science aurait fait d’énormes progrès. Quel est l’objectif derrière ces « progrès » ? prolonger la vie coûte que coûte, au détriment du bien-être, voire de l’intégrité humaine ? Et s’il fallait surtout prendre soin de soi lors de la « vie active » ? Cela amène inévitablement à des questions sur le monde du travail et le mode de vie moderne à cent à l’heure. On pourrait aller plus loin en s’interrogeant sur l’omniprésence du numérique et le peu de place laissé à l’Humain de nos jours, dans un monde où la lenteur et le silence semblent avoir déserté définitivement nos vies… Cela rejoint également cet épisode de la vie professionnelle de la narratrice, malmenée pour un temps, et physiquement, et psychiquement. Quid d’une vie entière passée à donner de soi, sans répit, et sans recevoir de reconnaissance ? Les maladies ne viennent pas de nulle part, et il m’apparaît essentiel de s’intéresser à la part psychologique de la « vie active » (entre autres) dans l’exponentielle dépendance de l’âge avancé.

***

Pourquoi cette lecture ?

Cela fait une petite année (déjà) que ce livre m’attirait. S’est immiscée dans (ou a coïncidé avec) cette envie la nouvelle foudroyante de la mise en Ehpad de ma Mamie depuis déjà de longs mois. Après être allée la voir, la réalité de ces lieux et de sa nouvelle « vie » s’est imposée à moi. La souffrance de la savoir si seule là-bas, et mon impuissance à l’en faire sortir m’ont dès lors interdit de m’intéresser en profondeur à toute lecture sur les Ehpad. Au choc de sa mort en novembre, je pensais ne plus jamais lire sur le sujet. Jusqu’à ce qu’un nouveau printemps refleurisse…

S’intéresser au monde des Ehpad, à ce que doivent vivre nos aînés en ces lieux me semble plus qu’essentiel, pour la préservation de notre humanité. J’espère de tout cœur que Derrière la jolie façade permettra aux personnes sensibles de réfléchir à une autre possible alternative que l’Ehpad pour leurs parents. Mais aussi pour que, quels que soient le travail réalisé et la structure, l’investissement sincère et la bienveillance soient, dans un monde nouveau (qui renaîtra peut-être des cendres de celui-ci), reconnus comme des qualités. Et que ces qualités soient, en conséquence, non diabolisées par la hiérarchie, au point d’abîmer voire de détruire la personne qui travaille, mais honorées et valorisées. Comme elles le seraient, tout bonnement, dans un monde soucieux de l’Être, un monde sensé et juste.

Merci Léa d’avoir écrit ce livre et merci pour toutes les petites touches de bonheur – inestimables – que tu as apportées aux résidents de l’Ehpad dans lequel tu as travaillé.

🩷

***

***
Découvrir aussi…

Publié par Lola à fleur de mots

Lola Swann ~ authoresse

2 commentaires sur « Derrière la jolie façade »

  1. Il y a la possibilité de faire plus que lire un livre : les bénévoles vont voir personnes dans les EHPAD… Il y a des activités qu’ils organisent… Parfois..suffit juste visiter une de ces personnes….pour lui apporter un peu de soleil.

    Derrière la jolie façade… souvent il y a pire que la solitude… IL Y A UNE RÉELLE MALTRAITANCE…

    Là aussi il y des choses à faire… Il faut dénoncer…alerter…

    J’aime

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer