Je venais voir la mer

Je venais voir la mer est un texte de théâtre écrit par Nicolas Girard-Michelotti, paru aux éditions Les Solitaires Intempestifs le 6 avril 2023.

Résumé

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Un homme revient dans une ville de bord de mer, et sur le seuil d’une maison, parle à une femme qu’il a connue. Il voudrait expliquer ses erreurs, les réparer, mais il est difficile de s’amender. Ce qui bouillonnait sous la surface du bonheur, c’était l’enfance douloureuse, la violence, le désamour du père, la peur de reproduire les mauvais gestes.

Ce texte a reçu le prix des Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre 2023.

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Mon avis de lectrice

Je vais vous parler de ce livre, Je venais voir la mer, que j’ai lu hier soir, une nuit de pleine lune.

Avant que je ne donne mon avis, je dois préciser deux petites choses concernant le contexte de cette lecture, parce qu’il me semble que cela a son importance : c’est la toute première fois que je lis un livre tout en sachant que je suis tenue d’en faire une critique (livre offert par la maison d’édition Les Solitaires Intempestifs dans le cadre de la Masse Critique littéraire Babelio), c’est la toute première fois que je lis un livre sans avoir pu au préalable l’ouvrir, le feuilleter, en lire deux ou trois phrases par-ci par-là pour me confirmer qu’il y a des chances que je l’aime.

Je ne savais pas qu’il y avait une opération Masse Critique littéraire, je l’ai appris par hasard en me connectant sur le site Babelio, j’ai vu ce titre, magnifique, « Je venais voir la mer », et j’ai choisi ce livre. Uniquement ce livre. Lorsque l’on m’a informée que j’avais été sélectionnée, que j’allais le recevoir, j’ai cherché sur Internet plus d’informations sur le livre, l’auteur, la maison d’édition. Et c’est seulement là que j’ai compris que c’était du théâtre, genre littéraire que je ne lis (presque) jamais, mon dernier livre du genre remontant à de nombreuses années, La dame de la mer d’Henrik Ibsen. Et encore, là aussi, si j’avais exceptionnellement lu du théâtre, c’est parce qu’un ami m’avait suggéré cette lecture qu’il avait aimée, connaissant mon amour pour la mer.

Ceci pour dire que j’ai éprouvé une pointe de déception lorsque j’ai compris (ayant cliqué trop vite sur le livre lors de ma participation, hypnotisée que j’étais par le titre) que je n’allais pas lire un roman mais du théâtre. Déception qui s’est très vite mue en curiosité et en enthousiasme à l’idée de lire un texte dont le genre littéraire ne m’est pas familier.

J’en viens à quelque chose qui m’apparaît essentiel : le pourquoi du choix de ce livre. Le titre, tout a d’abord été dans le titre. Puis le résumé, un extrait du livre dont la poésie m’a tout de suite touchée :

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Cela peut paraître négligeable mais la couverture a peut-être aussi joué son petit rôle, alors même qu’il s’est avéré que c’est une couverture-décor générique, souvent utilisée par la maison d’édition, pour d’autres titres, d’autres auteurs. Elle est bleu nuit avec quelques nuages épars, c’est une forme épurée du ciel, de la nature, et non quelque abstraction ou fioriture moderne. Cette douceur et cette simplicité ont vraisemblablement achevé de me séduire.

Je dois maintenant vous parler du livre et je précise que c’est pour moi un exercice délicat, écrivant moi-même et comprenant dès lors combien le regard des autres sur ce dans quoi on met son cœur et son âme peut être difficile à accueillir. C’est d’ailleurs quelque chose que je ne fais que très rarement ; d’ordinaire je cite plutôt des extraits du livre qui m’ont touchée…

Je dois aussi parler de cette première impression en ouvrant le livre. Ce sont des petites phrases ou plutôt de très longues phrases, découpées en sortes de vers, de prose poétique : du « théâtre-poésie » ai-je envie de dire. Y sont décrits des sentiments, des souvenirs, des sensations, des impressions, des moments, des pensées, des joies et des douleurs. Je dois le dire car cela me semble encore une fois essentiel : à la lecture des toutes premières pages, j’ai été certaine que je n’allais pas aimer. Les mots qui se répètent, les phrases à la fois trop longues et bien trop courtes, cette « absence » de décor, ce manque de riches descriptions comme je les aime tant dans les romans, ces sentiments comme « survolés », en deux-trois petits mots. C’était tellement inhabituel comme lecture que je m’entendais lire les mots dans ma tête, cela résonnait, en plus de certains qui se répétaient, c’était trop, j’ai cru que j’allais refermer le livre et me replonger, désappointée, dans ma lecture du moment. Bien mal m’en aurait pris !

J’ai continué juste une seule page pour voir… Et je ne sais ce qui m’a fait changer d’avis, je ne saurais dire c’était quelle page exactement ni quelle phrase ni quel mot mais je me suis sentie, comme pour le titre lors de la sélection, comme happée.

oui
non
trois lettres
un mot de votre voix
votre si jolie voix
je l’ai toujours trouvée jolie si jolie c’est vrai
je dis jolie pas belle
parce que jolie me semble plus joli que belle
mais c’est belle que je pense lorsque je dis jolie
une très belle voix

Je venais voir la mer ~ Nicolas Girard-Michelotti

J’ai dévoré le livre. Ou plutôt je l’ai dégusté, aussi lentement que possible. Car les mots qui défilaient me semblaient aller trop vite, et je me sentais presque comme essoufflée de devoir lire ainsi ces mots qui s’enchaînaient, ces pensées si belles, si profondes, si lucides, si sensibles, qui ne me laissaient presque pas le temps d’y songer plus en détail. Puis, je ne sais ni quand ni comment mais, au fil de ma lecture, j’ai réussi comme par magie à « prendre le pli » de ce style tout à fait singulier (en tout cas, un style comme je n’en ai jamais lu) et alors j’ai pu savourer pleinement chaque mot.

Je venais voir la mer est un livre empli de poésie, à la fois plein de douceur et d’une certaine « brutalité », dans le sens où l’écrivain dit les choses telles quelles, au plus proche de comment il les ressent au moment où il les ressent, jusque dans ses hésitations, ses erreurs, ses répétitions, ses maladresses, ses excuses… Il dit les choses comme il les pense, avec parfois la familiarité du langage qui va avec, avec parfois juste une phrase ou deux-trois mots puissants, brillants et qui révèlent tout.

on ne peut tuer que ceux qui nous aiment

Je venais voir la mer ~ Nicolas Girard-Michelotti

Je n’oserais trop en raconter pour ne pas dévoiler l’intrigue. C’est un texte qui parle d’une rencontre qui ne se fait pas, un retour vers le passé qui ne peut pas se faire. Cette pièce de théâtre est en fait un très long monologue « entre » le narrateur et une femme qui n’est pas là, qu’il imagine être là et à qui il s’adresse comme si elle était à côté de lui, qu’il n’ose pas aller voir ou qu’il ne peut pas aller voir parce que c’est impossible. Il a cette excuse : « Je venais voir la mer ». Ce prétexte pour éviter cette rencontre trop éprouvante, ou cette justification pour cette impossible rencontre qui l’est tout autant. Il reste une part de mystère, et c’est ce que j’aime aussi.

Tous les thèmes évoqués dans ce livre ont trouvé un profond écho en moi, j’ai eu l’impression de lire mes propres pensées, mon propre regard sur le monde, sur les liens familiaux, sur l’amour aussi… C’est un livre qui parle de l’enfance, des blessures de l’enfance, du deuil, que ce soit parce que la mort est passée par là, ou parce que la relation qui a été ne peut plus être comme par le passé. Ou les deux. Il y a cette vérité crue de l’enfant qui a grandi, qui comprend qu’il a été trompé, trahi, par la vie, par ce qu’on lui en a montré. L’enfant qui comprend en grandissant que l’univers ne se résume pas au microcosme de l’enfance. Le livre raconte également la part d’héritage, ce que les parents transmettent à l’enfant, en bien comme en mal, en culpabilité, en douleur, en impossibilité de faire autrement, en souffrance. Il parle d’un amour qui, par la force des choses, a dû se terminer, d’un bonheur trop pur et qui fait peur, quelque chose qui manque, dont on n’a pas eu le mode d’emploi étant petit, et alors on est perdu, comme jeté dans le monde.

J’ai aimé ces oliviers, récurrents, qui dansaient dans le paysage, cet enfant Matisse jouant sur la plage, tant aimé, comme abandonné, comme par amour. Le regard que l’auteur porte sur la vie et le monde est si plein de sagesse et de justesse, on y lit du désespoir et de la colère envers ce chaos qui fait le décor de nos vies, et aussi tant d’amour et de bonté. Cette fragilité et cette tendresse, qualités transformées en défauts par le père du narrateur, sont en fin de compte la force de cette histoire et toute sa beauté.

il y a la mer
l’océan
je dis la mer
vous le savez
pas océan
mer océan
je ne fais pas la différence
bien sûr je la connais
comme tout le monde
c’est juste que
ça ne m’intéresse pas vraiment de la faire
je préfère le mot mer c’est tout

Je venais voir la mer ~ Nicolas Girard-Michelotti

Enfin, je dois dire un mot sur la mer. C’est tout de même ce qui m’a fait choisir le livre… Tout comme le narrateur, la mer est un lieu que j’aime infiniment. « Mer » et non « océan». Elle est présente tout le long du livre, proche ou en filigrane, elle revient toujours à un moment à l’instar des vagues qui échouent sur le sable et renaissent de leur écume. À y repenser, je crois bien m’être sentie là-bas avec le narrateur, tout près d’une mer légèrement agitée, mais calme au fond. Un jour de temps un peu gris, un peu venteux, une plage déserte évidemment, un jour qui ne devait pas être l’été assurément…

Je suis infiniment heureuse d’avoir pu livre ce livre que jamais je pense, je n’aurais lu autrement. Car en le feuilletant, j’aurais directement été rebutée par la petitesse des vers, les phrases découpées, l’absence de ponctuation. Je me serais même peut-être énervée, allez savoir, d’imaginer qu’on puisse oser écrire ainsi. Alors pardon pour cette première impression totalement faussée. Je suis infiniment heureuse d’avoir découvert ce livre et cet auteur, dont je vais pouvoir lire avec joie les autres œuvres. Heureuse aussi que ce livre m’ait été offert, car il est mien et c’est une sensation délicieuse : à la différence de ceux que j’emprunte à la bibliothèque, je pourrais le relire tantôt, une ou deux pages, ou tout entier, et je m’en réjouis.

Merci pour ce moment de pur bonheur, à l’écrivain-poète, Nicolas Girard-Michelotti, à sa maison d’édition, Les Solitaires Intempestifs, et à toute l’équipe de Babelio.

Je venais voir la mer est un livre que je recommande à tous ceux qui aiment la poésie et plonger au cœur des pensées tourmentées. Un livre que je recommande à ceux qui ont souffert et qui arrivent à voir malgré tout, la beauté. Un livre que j’oserai aussi intimer de lire à ceux qui disent ne pas aimer le théâtre, à ceux qui ne supportent pas quand ça va trop vite et même à ceux qui adorent les descriptions longues dans les romans, les pensées foisonnant de mille détails que bien des maisons d’édition exigent de supprimer parce que « ça va noyer le lecteur ». Parce que même si ce livre n’est pas fait ainsi, et justement parce qu’il est ce qu’il est, sa lecture fut en tous points merveilleuse ! Enfin je le conseille de tout cœur à celles et ceux qui comme moi, je le déplore, jugent un petit peu trop vite au premier regard.

notre vie ressemble à peu de choses près à la conclusion
d’un conte pour enfants destiné à durer toujours
ressemble
à s’y méprendre
à ces histoires que je lis à Matisse
quand il me les réclame après son bain
c’est une vie qui a l’odeur de la cannelle
et des écorces de clémentine brûlées
l’odeur du basilic
des marrons chauds des fleurs des champs
c’est une vie de carte postale
une magnifique carte

Je venais voir la mer ~ Nicolas Girard-Michelotti

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Publié par Lola à fleur de mots

Lola Swann ~ authoresse

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