Le 8 mars en 8 anecdotes*

* loin d’être anecdotiques (liste non exhaustive)

Au moment où j’écris ces lignes, la journée du 8 mars 2024 touche à sa fin. Le 8 mars est une journée internationale dédiée aux droits des femmes et à leur place dans le monde.

Elle ne concerne pas exclusivement les femmes, comme on pourrait le penser, mais bien tout un chacun : que les hommes prennent pleinement part à ce noble et juste combat est vivement souhaitable. La Journée mondiale des droits des femmes est l’occasion idéale pour une prise de conscience quant au fait que, de par le monde, dans des contextes et sous des formes multiples et variées, nous observons ceci :

“Les femmes sont élevées sous sujétion depuis des milliers d’années, et cela a forgé des différences, qui s’entendent jusque dans la langue. Cette domination si durable a modelé une psyché féminine singulière, différente de celle des dominants. La femme est en effet amenée – obligée – de s’intéresser à l’homme pour survivre dans un monde structuré par lui et fait par lui.” 

Préface de « Un lieu à soi » de Virginia Woolf, par Marie Darrieussecq

Pour célébrer le 8 mars, 8 anecdotes, loin d’être anecdotiques, pêle-mêle,
sur les Femmes, leurs droits, leur place dans le langage, dans le monde…

1.

Marguerite Yourcenar {1903 ~ 1987}

Marguerite Yourcenar est la première femme à intégrer l’Académie française le 6 mars 1980.

Il aura donc fallu attendre 345 ans après la création de cette institution (en 1635), pour qu’une femme puisse y avoir sa place. Ainsi, durant près de trois siècles et demi, une armée d’hommes a décidé de la structure des mots et de leurs définitions. Les conséquences sur la langue française, et notamment sa masculinisation, ont eu tout le temps de s’imposer…

***

2.

Auparavant, au Moyen-Âge, de nombreux noms existaient et étaient employés pour désigner les femmes dans leur métier, leur activité, leur qualité, etc. :

  • un auteur, une authoresse / autoresse / auteuresse ;
  • un philosophe, une philosophesse ;
  • un poète, une poétesse
    (l’usage aujourd’hui fait de « poète » un mot épicène, mais « poétesse » reprend peu à peu sa digne et jolie place) ;
  • un peintre, une peintresse ;
  • un druide, une druidesse ;
  • un médecin, une médecine
    (la médecine en tant que femme n’a finalement pas plus de risques d’être confondue avec la médecine en tant que discipline, que la cuisinière femme n’en a d’être confondue avec la cuisinière électroménager…) ;
  • un devin, une devine ou devineresse ;
  • un bourreau, une bourrelle…

3.

Un beau (ou triste) jour, la société a décrété que le rose était la couleur des filles, le bleu celle des garçons. Dommage pour Petit-garçon tout fier de porter son tee-shirt rose à la rentrée des classes, et qui, très probablement, ne voudra plus le remettre dès le lendemain. Petit-garçon qui, le dimanche venu pourra, qui sait, alors qu’il joue à la poupée, clouer le bec à Tata Éva : « Ben dis-donc, tu joues à la maman, mon bonhomme ? » Et Petit-garçon de rétorquer : « Non, je joue au papa ! » Imaginez un monde où prendre soin de l’autre, dès le plus jeune âge, serait valorisé auprès des petites filles comme des petits garçons… Un monde où les petites filles pourraient exprimer librement leur colère, où les petits garçons pourraient pleurer sans craindre pour leur dignité. Il apparaît que l’éducation genrée pose sournoisement les premières fondations des inégalités hommes-femmes, et ce dès le plus jeune âge…

Pour en revenir à notre histoire de couleurs : non, le rose n’est pas la couleur des filles ; non, le bleu n’est pas la couleur des garçons. Autrefois, c’était même l’inverse. Le bleu, couleur portée par la Vierge Marie, était associé aux petites filles. Le rose, version atténuée du rouge, symbole de la royauté et du pouvoir au Moyen Âge, était destiné aux petits garçons. Aussi, que chacun et chacune se sente libre d’aimer la couleur qui lui plaît, indépendamment de l’aspect marketing que la société lui a conféré.

© Rie Cramer

4.

L’aviez-vous remarqué ? En français, il n’existe pas de mot pour désigner le pendant féminin des noms masculins « mari » et « fils ».

Les femmes sont les femmes de leur mari.
Les filles sont les filles de leurs parents (et plus spécifiquement de leur père).

Par ailleurs, la marque de la femme dans la langue semble constituer intrinsèquement une injure. Le féminin de « garçon » n’est autre que « garce », sans compter l’insulte « fillette » ou encore le banal « con »…

5.

© Miss. Tic

« Le masculin l’emporte », cela vous dit quelque chose ? Cette règle de conjugaison mille fois rabâchée depuis l’école primaire et qu’à force on a intégrée, peut-être même au-delà des mots… Pourtant, en latin, en grec et en ancien français, on utilisait l’accord de proximité. C’est aussi le cas dans les autres langues romanes. Il s’agit d’accorder l’adjectif avec le nom le plus proche de celui-ci.

Exemple : « des jours et des nuits entières », « des hortensias et des roses bleues », « des abricots et des fraises bien sucrées »…

Toutefois, il arrive – aussi – que le féminin l’emporte… au pluriel ! C’est le cas de trois noms qui sont masculins au singulier et qui font leur pluriel au féminin. Les connaissez-vous ?
Il s’agit des mots « amour », « délice » et « orgue » !

Exemple : « des amours passionnées » ou bien cette phrase à la forme (et musique) insolite : « Cet orgue est l’un des plus belles que j’aie jamais vues ! »

6.

Dans la loi française, la définition du viol comme crime n’intervient qu’en 1980. Avant cela, les violences sexuelles étaient certes condamnables, mais le soin était laissé aux magistrats de définir s’il y avait agression sexuelle ou non. L’on doit cette avancée majeure à Gisèle Halimi (1927 ~ 2020), avocate et ancienne députée.

En 1978, deux femmes touristes belges, Anne Tonglet et Araceli Castellano, sont violées et battues par trois hommes pendant cinq heures dans les calanques de Marseille. Lors d’un retentissant procès qui se tiendra cette année-là à Aix-en-Provence, Gisèle Halimi assurera la défense d’Anne Tonglet et fera condamner les violeurs. Deux ans après, en 1980, la loi sur le viol change, elle est dorénavant définie comme suit : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte ou surprise ».

7.

La toponymie (le fait de donner leurs noms aux rues) en France rend très majoritairement hommage aux hommes. Quand une personnalité est à l’honneur dans l’espace public (rues, places, avenues…), il s’agit dans 94 % des cas d’un homme. Seules 6 % de ces rues portent le nom d’une femme.

Les femmes les plus représentées sont au nombre de trois : Jeanne d’Arc, l’aviatrice Hélène Boucher et l’authoresse George Sand (nom de plume masculin d’Amantine-Aurore-Lucile Dupin ~ 1804-1876).

***

8.

Pour finir, un petit jeu ! Connaissez-vous le test Bechdel ? En s’identifiant à un personnage créé par Virginia Woolf (Mary Carmichael), l’auteure de romans graphiques Alison Bechdel et son amie Liz Wallace ont proposé un test, dont elles attribuent la maternité à Virginia Woolf. Vous êtes prêt(e)s ?

Pensez à un film, un livre ou une pièce de théâtre que vous aimez (ou non).
Maintenant, soumettez-le à ces trois questions :

  • Dans ce film, ce livre ou cette pièce de théâtre, est-ce qu’il y a au moins deux personnages féminins qui ont un nom ?
  • Ces deux femmes se parlent-elles ?
  • Parlent-elles d’autre chose que d’un homme ?

Dès que vous répondez non à l’une de ses questions, vous pouvez éliminer le film, le livre ou la pièce de théâtre en question. Peu d’œuvres passent le cap des trois oui. Il semblerait que la prédominance des hommes, parfaitement intégrée, s’immisce insidieusement, l’air de rien, jusque dans l’art et la culture…

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Deux citations pour le 8 mars…

Virginia Woolf {1882 ~ 1941}

“Une des idées les plus fortes de Woolf dans cet essai, c’est que l’homme a besoin de penser la femme comme inférieure pour se sentir supérieur. Sans la femme, l’homme ne bénéficierait pas de cet effet de loupe avec lequel il se construit en grand depuis tout petit. Une fois qu’on a compris ça, on a fréquemment le fou rire…”

Préface de « Un lieu à soi » de Virginia Woolf, par Marie Darrieussecq

“Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir magique et délicieux de réfléchir une image de l’homme deux fois plus grande que nature.”

Un lieu à soi ~ Virginia Woolf

Petite bibliographie spéciale Journée mondiale des droits des femmes

(lus)

  • « Beauté fatale – Les nouveaux visages d’une aliénation féminine » de Mona Chollet
  • « Sorcières » de Mona Chollet
  • « Un lieu à soi », anciennement « Une chambre à soi » de Virginia Woolf (en cours de lecture)

(non encore lus)

  • « Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française » de Éliane Viennot
  • « Pour une langue française non sexiste » de Céline Labrosse

~ Nota bene ~

Très concernée par la cause des femmes et pour la liberté de toutes et de tous, je n’adhère pas à l’emploi de l’écriture dite « inclusive ». Voici où se place l’Académie française sur cette question :

“Plus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel

L’Académie française

***

{L’illustration en haut de l’article est une œuvre de © Miss. Tic, artiste de street-art (1956 ~ 2022)}

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Publié par Lola à fleur de mots

Lola Swann ~ authoresse

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